La connaissance supramentale, la conscience-de- vérité supramentale est une et totale en soi. Même quand elle impose une certaine limite à la connaissance, ou semble se manifester partiellement, elle le fait volontairement. La limitation ne provient d’aucune ignorance et n’entraîne aucune ignorance ; ce n’est pas une négation ni un refus de la connaissance, car la vérité inexprimée se trouve là tout entière, implicitement. Et surtout, les contradictions n’existent pas : tous les opposés, qui semblent tels pour notre mental, portent en eux-mêmes leur relation juste et leur accord réconciliateur – si toutefois une réconciliation était nécessaire, car une harmonie parfaite règne entre ces apparents opposés. Le mental a tendance à dresser l’un contre l’autre le personnel et l’impersonnel, comme s’ils étaient contradictoires ; mais le Supramental voit et perçoit par expérience que ce sont – pour le moins – des pouvoirs complémentaires de l’unique Réalité, qu’ils se complètent et, plus spécifiquement, qu’ils se fondent l’un en l’autre et sont inséparables, étant eux-mêmes cette unique Réalité. L’Être Personnel a un aspect d’impersonnalité inséparable de lui-même et sans lequel il ne pourrait pas être ce qu’il est ou ne pourrait pas être totalement lui-même ; l’Impersonnel, dans sa vérité, n’est pas un état d’être, un état de conscience, un état de félicité, mais un Être existant en soi, conscient de lui-même, plein de sa propre joie inhérente, une joie qui est la substance même de son être. Ainsi est-il la seule Personne unique, illimitée, le Purusha. Dans le Supramental, le fini ne découpe pas, ne limite pas l’infini, ne se sent pas contraire à l’infini mais, bien plutôt, sent sa propre infinitude. Le relatif et le temporel ne sont pas une contradiction de l’éternité mais une relation exacte entre ses aspects, un fonctionnement inné, un trait impérissable de l’Éternel. Là, le temps est simplement l’Éternel dans son extension, et l’Éternel peut être senti dans le momentané. Ainsi, le Divin intégral est présent dans le Supramental et nous n’avons aucun besoin de nous imposer quelque théorie de l’illusion ou Mâyâ contradictoire pour justifier sa manière d’être. Il est évident qu’il n’est pas nécessaire de fuir la vie pour que le Divin se trouve lui-même ou découvre sa propre réalité : il les possède à jamais, dans la vie cosmique comme en son existence transcendante. La vie divine ne peut pas être une contradiction du Divin ni de la suprême réalité : elle fait partie de cette réalité, elle est un aspect, une expression de la réalité et ne saurait être autre chose. Sur le plan supramental, nous possédons le Divin tout entier dans la vie, et quand le Supramental descendra sur la terre, il apportera le Divin avec lui et rendra cette pleine possession possible ici même.
Tous ceux qui pourront accéder à cette vie divine et la vivre, vivront en même temps, de plus en plus et enfin complètement, dans la conscience-de-vérité et tout ce qu’elle comporte. Elle apportera la réalisation du Divin dans le moi et du Divin dans la Nature.
Tout ce que cherche l’aspirant à la divinité sera accompli dans son esprit et dans sa vie à mesure qu’il s’approchera de la perfection spirituelle. Il percevra la réalité transcendante, il possédera par expérience l’existence, la conscience et la félicité suprêmes; il sera un avec Sat-chit-ânanda, un également avec l’Existence cosmique et avec la Nature universelle ; il contiendra le monde en lui-même, en sa conscience cosmique, et se sentira un avec tous les êtres; il se verra en tous et verra tous les êtres en lui-même, il s’unira et s’identifiera au « Moi qui est devenu toutes les existences ». Il percevra la beauté du parfaitement Beau et le miracle du Tout-Merveilleux ; il s’immergera finalement dans la béatitude du Brahman et y vivra d’une façon permanente, sans pour autant avoir besoin de fuir l’existence ni d’abolir la Personne spirituelle en quelque Nirvâna d’annihilation de soi. Et il pourra réaliser le Divin dans la Nature comme il l’a réalisé en son moi. En sa nature, le Divin est Lumière, Pouvoir, Félicité; l’aspirant peut les sentir au-dessus de lui et qui descendent en lui, remplissent toutes les fibres de sa nature, toutes les cellules et les atomes de son être, inondent son âme, son mental, sa vie, son corps, l’enveloppent telle une mer illimitée et remplissent le monde, imprègnent tous ses sentiments, ses sens, ses expériences, rendent toute sa vie vraiment et intégralement divine. Tout cela, et tout ce que la conscience spirituelle peut apporter, la vie divine le lui offrira quand elle atteindra sa plénitude et sa perfection absolues et quand la conscience-de- vérité supramentale sera accomplie dans toutes les parties de son être ; mais même avant, le chercheur pourra avoir un aperçu de cette totalité, croître en elle, vivre en elle, pour peu que le Supramental descende et guide son existence. Toutes les relations possibles avec le Divin seront siennes : la trinité de la connaissance de Dieu, des œuvres divines et de l’amour pour Dieu s’épanouira en lui et le conduira vers un don de soi absolu et une soumission de tout son être et de toute sa nature. Il vivra en Dieu et avec Dieu, possédera Dieu et, comme on le dit, s’immergera même en Lui, oubliant toute personnalité séparée, sans pour autant la perdre dans une abolition de soi. Il goûtera l’amour de Dieu et toute la douceur de l’amour, le délice du contact autant que le délice de l’unité et de la différence dans l’unité. Toute la gamme infinie de l’expérience de l’Infini sera sienne et toute la joie du fini dans l’embrassement de l’Infini.
La descente du Supramental apportera toutes les possibilités de la vie divine à celui qui s’ouvrira à elle et aura réalisé en lui la conscience-de-vérité. Non seulement elle intégrera toutes les expériences particulières qui constituent la vie spirituelle telle que nous la connaissons, mais tout ce que nous excluons du domaine spirituel et qui, cependant, peut être divinisé. Elle n’excluera rien de la nature et de la vie terrestres qui puisse être transformé par le contact du Supramental et inclus dans la vie manifestée de l’Esprit. Car une vie divine sur la terre ne sera pas nécessairement une vie séparée, exclusive, sans aucun rapport avec l’existence terrestre générale : elle embrassera l’être humain et la vie humaine, transformera et spiritualisera tout ce qui peut l’être, répandra son influence sur le reste de l’humanité, effectuera un changement radical ou élévera l’homme au-dessus de lui-même. Elle établira une communion plus profonde entre l’individu et l’univers, plongera l’idéal au cœur de la vérité spirituelle dont il est l’ombre lumineuse, et aidera à soulever l’ensemble vers une existence plus grande et plus haute, et à y vivre. Ainsi exaltés, le mental atteindra à la lumière d’une volonté et d’une pensée plus divines, la vie à une action plus vraie, à des émotions plus profondes, un plus large pouvoir, des mobiles et des buts supérieurs. Tout ce qui ne peut encore réaliser sa vérité d’être complète, elle le rapprochera de sa plénitude; et même ce qui n’est pas encore prêt à ce changement verra s’offrir à lui la divine possibilité, dès que son évolution encore incomplète l’aura préparé à l’accomplissement de soi. Même le corps, s’il peut supporter le contact du Supramental, percevra mieux sa propre vérité; car il existe une conscience corporelle possédant sa propre vérité instinctive, un pouvoir d’action vraie et d’état vrai, et même une certaine connaissance occulte inexprimée dans la constitution de ses cellules et de ses tissus, lesquels, un jour, pourront devenir conscients et contribuer à la transformation de l’être physique. Un éveil doit se produire dans la nature terrestre comme dans la conscience terrestre, qui sera, sinon le vrai commencement, du moins la préparation effective et les premiers pas d’une évolution de la terre vers un ordre mondial nouveau plus divin.
Tel sera l’accomplissement de la vie divine qu’apporteront la descente du Supramental et l’action de la conscience-de-vérité lorsqu’elle s’emparera, en tous ceux qui peuvent s’ouvrir à son pouvoir et à son influence, de la nature entière de l’être vivant. Mais son premier effet immédiat sur tous ceux qui sont prêts, sera la possibilité d’entrer dans la conscience-de-vérité et de transformer de plus en plus tous les mouvements de leur nature en mouvements de la vérité supramentale: vérité dans la pensée, dans la volonté, dans les sentiments, dans l’action. Ainsi la vérité s’établira dans tout l’être et même dans le corps, pour aboutir finalement à la transformation, à la divinisation. En tous ceux qui pourront s’ouvrir ainsi et demeurer ouverts, il n’y aura plus de limite au progrès, ni même aucune difficulté fondamentale, car toutes les difficultés seront dissoutes par la pression de la lumière et du pouvoir supramentaux qui se déverseront d’en haut dans le mental, dans la force de vie et dans le corps.
Sri Aurobindo
Extrait de « La manifestation de la conscience supramentale sur la Terre »
Première édition : 1957
Troisième édition : 2012
Sri Aurobindo Ashram Pondichéry
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